Aurélie Dupont : « Je suis passionnée par la vie »

La directrice de la danse de l’Opéra national de Paris nous confie avec spontanéité qu’elle compte sur sa créativité et son optimisme pour perpétuer la magie de son art et imaginer des lendemains qui dansent.
Clara Géliot
Aurélie Dupont : « Je suis passionnée par la vie » Bestimage

On a failli voir le public revenir à l’Opéra. Quel est votre état d’esprit ?
Aurelie Dupont - J’étais très heureuse de retrouver la scène, les costumes, l’orchestre, le public, et de pouvoir présenter la Bayadère, l’ultime œuvre de Rudolf Noureïev, qui reste l’un des joyaux du répertoire du ballet de l’Opéra national de Paris. Les danseurs avaient énormément travaillé pour retrouver leur niveau et une qualité collective. Ils étaient prêts à danser en s’adaptant à de nouveaux horaires et au « protocole Covid » que la direction de la danse avait établi concernant notamment les coulisses et le port du masque obligatoire pour les figurants.

Comment avez-vous conservé votre énergie et celle de vos danseurs ?
Aurelie Dupont - Pour maintenir leur forme physique, nous avons mis en ligne des cours de danse classique, de pilates ou de renforcement musculaire, et attribué à nos cent cinquante-quatre danseurs des morceaux de lino pour leur permettre de s’entraîner chez eux sur une surface proche de celle des salles de répétition. Et pour élaborer une programmation, autre mission principale de ma fonction, j’ai imaginé des spectacles que l’on pourrait adapter aux règles sanitaires en me disant que c’était une occasion de se réinventer.

Vous avez maintenu l’intérêt du public pendant la fermeture...
Aurelie Dupont - Les réseaux sociaux ont permis d’entretenir ce lien. La preuve, la diffusion en direct, sur Facebook, des trois créations qui devaient être à l’affiche de Garnier en novembre – Exposure, de Sidi Larbi Cherkaoui, avec le chanteur Woodkid, Clouds Inside, de l’Américaine Tess Voelker, et celle de mon ami Mehdi Kerkouche – a attiré en direct cinq mille spectateurs payants et huit mille cinq cents pendant quarante-huit heures. Une captation de la soirée sera visible, début 2021, sur France Télévisions, mais le succès en ligne nous a encouragés à reprogrammer le spectacle à Garnier. Et pour attirer l’attention sur la Bayadère, l’Opéra de Paris a posté, sur Instagram, un calendrier de l’Avent, dont les fenêtres ouvrent chaque jour sur un morceau du ballet. Le spectacle sera diffusé le 24 décembre sur la nouvelle plateforme numérique de l’Opéra que notre directeur, Alexander Neef, a mise en place afin de proposer des captations de représentations de danse et de lyrique, des cours dispensés par nos danseurs étoiles ou autres répétitions.

Internet et les réseaux sociaux sont-ils efficaces pour démocratiser le ballet ?
Aurelie Dupont - Ce sont évidemment des outils intéressants puisque les études ont montré que le Facebook Live avait attiré, outre les abonnés de l’Opéra, des jeunes et des non-initiés. Même si rien ne remplace le spectacle vivant, l’effervescence des coulisses, l’atmosphère d’une salle pleine et les applaudissements, je reconnais qu’en temps de crise sanitaire faire entrer l’Opéra chez soi est une chance pour beaucoup de danseurs et de spectateurs.

Depuis cinq ans, quels ont été vos champs d’action en tant que directrice de la danse ?
Aurelie Dupont - J’ai signé mon contrat en août 2016, mais je dirige en fait la compagnie depuis février 2016, date du départ de Benjamin Millepied. Les mandats n’existant plus depuis trente ans, je ne suis pas limitée dans le temps, et cela laisse la possibilité de mener à bien de nombreux projets. Mais c’est un poste si prenant que l’on a souvent le sentiment de ne pas pouvoir réaliser tout ce que l’on voudrait. J’avais cette même impression lorsque j’étais danseuse étoile : je sentais toujours que je n’étais pas allée assez loin dans tel ou tel rôle, que j’aurais dû tenter de nouveaux défis. Il n’empêche que, en cinq ans, je me réjouis d’avoir eu l’audace d’inclure à l’Opéra de grands chorégraphes contemporains.

La diversité est-elle toujours votre cheval de bataille ?
Aurelie Dupont - Pour rester en symbiose avec le monde actuel, cela me paraît nécessaire de faire appel à des chorégraphes et des danseurs issus d’univers différents. Les membres de la compagnie sont jeunes, ouverts d’esprit et curieux de découvrir de nouvelles choses. Ne pas répondre à leurs attentes serait se priver de nombreux talents. Je suis un guide artistique pour les danseurs et, avant d’être pensée pour le public, ma programmation doit toujours rester connectée à eux. Animée par cette quête de diversité, j’aimerais que nous allions chercher, partout en France, des enfants qui seraient trop éloignés du monde de l’Opéra pour s’y inscrire spontanément mais suffisamment doués pour qu’on les encourage à devenir des petits rats.

« Faire entrer l’Opéra chez soi est une chance pour beaucoup de spectateurs. »

Et avec vos propres enfants, quelle mère êtes-vous ?
Aurelie Dupont - Une maman hyper sympa ! [Rires.] J’ai deux fils de 12 et 9 ans dont je suis très proche. Avec eux, nous parlons de tout et rigolons beaucoup, car ils ont un humour décapant. On danse aussi très souvent puisque j’écoute sans cesse de la musique et l’on organise régulièrement des fêtes avec les copains qui passent. Par ailleurs, je les emmène souvent à l’Opéra où mon dernier aime jouer du piano et où le grand raffole des couloirs pour faire du skateboard. Ils ne sont pas fans de danse, mais ont adoré Play, un spectacle d’Alexander Ekman accessible à tous les âges que je reprogrammerai en septembre 2021.

L’Opéra est-il pour vous une deuxième « famille » ?
Aurelie Dupont - Une grande famille même, puisque je suis entourée d’une formidable équipe et que j’ai sous ma responsabilité cent cinquante-quatre danseurs. En tout cas, je suis un pur produit de l’Opéra puisque je suis passée de l’école de danse au corps de ballet, et de danseuse étoile à directrice. Arrivée en haut de l’échelle, j’ai le sentiment d’avoir une vision globale de cette institution, et cela me permet d’opérer des choix sereinement.

Etre au sommet donne-t-il le vertige lorsque l’on pense à l’après ?
Aurelie Dupont - Non, car je suis passionnée par la vie et j’accueille les choses qui m’arrivent avec curiosité. Si je dois quitter mon poste, je trouverai ailleurs d’autres centres d’intérêt. Mon moteur n’est pas d’avoir un CV, mais la passion que je porte à la danse, aux danseurs et à la quête qui me permet de trouver, au bon moment, le chorégraphe qui révélera un artiste. C’est une démarche très honnête.

Comment réglez-vous les conflits qui se déclenchent, parfois, à l’Opéra ?
Aurelie Dupont - Par la communication. Portée par l’envie d’avancer, je parle avec les autres et tente de trouver des solutions. C’est pourquoi j’ai instauré des rendez-vous réguliers avec la compagnie et d’autres, individuels, avec chaque danseur. Pendant une heure, mon équipe et moi prenons le temps d’écouter, de questionner et de donner notre avis sur leurs carrières, leurs progrès et leurs envies. Cela évite beaucoup de malentendus. En outre, les danseurs savent qu’ils peuvent m’appeler à tout moment. Comme j’ai été danseuse étoile, ils ne me voient pas uniquement comme la directrice de la danse et peuvent avoir des conversations artistiques avec moi.

Vous réjouissez-vous à l’approche de Noël ?
Aurelie Dupont - Je n’ai, hélas, pas eu souvent l’occasion de le fêter en famille. Lors des réveillons, j’arrive après la bataille puisque, les 24 et 31 décembre, je suis toujours sur scène : à 10 ans, en tant que petit rat – nous étions invités à danser avec la compagnie les soirs de Noël –, de 16 à 25 ans, dans le corps de ballet et, pendant mes dix-sept années d’étoile, j’étais sur scène au moins un des deux soirs. Depuis que je suis directrice, je suis si sollicitée qu’il m’est difficile de me libérer pour célébrer Noël avec mes enfants. Heureusement, cette déception est compensée par l’ambiance féerique qui règne dans la salle les soirs de fête. Savoir que nous participons au cadeau que les spectateurs s’offrent est toujours très émouvant.

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le 20/12/2020