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Jean Nouvel, roi du désert

Jean Nouvel, roi du désert
Jean Nouvel, roi du désert © Abacapress
De notre envoyée spéciale à Doha Aurélie Raya

Il vient de réaliser le musée national du Qatar. Une prouesse architecturale qui pourrait devenir la perle du royaume.

Il est assailli comme une star de cinéma. Jean Nouvel accepte de bonne grâce les demandes de selfie, il reçoit « chez lui ». L’homme en noir marche en expliquant à quelques privilégiés d’une voix basse cette structure impressionnante. Un « Nouvel écrin » aux airs de soucoupes volantes qui s’inspire d’une rose des sables. Il définit le concept, « un symbole identitaire clair qui exprime l’éternité du désert et l’énergie du Qatar aujourd’hui ». Les galeries ne se ressemblent jamais, murs inclinés, hauteurs sous plafond divergentes, espaces qui se resserrent et s’élargissent.

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Il est aisé de deviner la difficulté de l’entreprise : concilier la démesure du contenant et un contenu moins alléchant. L’ex-protectorat britannique est une jeune nation de tradition nomade, peuplée d’à peine 25 000 habitants dans les années 1950. Son histoire ethnographique est moins riche que ses sous-sols. Jean Nouvel a relevé le défi, l’angoisse du vide, par une organisation thématique, sensorielle et ludique. A chaque salle son sujet, ses objets, l’eau et les poissons, les Bédouins, les perles, le pétrole, illustrés par des projections d’images souvent muettes. Des témoignages, des reconstitutions de batailles, des vagues d’or noir… Jacques Perrin, Mira Nair ou Doug Aitken ont réalisé ces œuvres qui maintiennent le promeneur occidental blasé en éveil. Plus on avance, plus on se dirige vers la fracture sociale, la découverte de ressources naturelles au milieu du XXe siècle. Après, l’argent ruisselle. Débute alors la période de « modernité », illustrée par des maquettes de voitures, de vélos, incrustées dans des parois blanches. 

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A l’origine Nouvel avait été contacté au début des années 2000 par le controversé ministre de la Culture, le cheikh Saud bin Mohammed Al-Thani pour concevoir une tour, possible siège du ministère des Affaires étrangères. Et l’idée d’un musée national qui remplacerait l’ancien, trop insignifiant, a germé. Il soumet aux autorités, dont cheikha Al-Mayassa, la présidente de Qatar Museum et influente sœur de l’émir, le projet d’une construction souterraine qui agirait comme une révélation. « C’était trop “land art”. On m’a commandé un bâtiment plus iconique, plus visible, plus spectaculaire. » Sa rose des sables aux 539 disques de béton a poussé sur le site du palais historique des Al-Thani, est-ce à dire que le récit national des Qataris se confond avec la célébration de la famille régnante depuis le XIXe siècle ? Jean Nouvel parle d’un musée « outil éducationnel » plus que d’une démonstration de puissance géopolitique. Construire pour des régimes non démocratiques ne semble pas l’affecter, il se situe ailleurs, évoque les peuples que l’on ne peut priver d’architecture. « Ce sont des témoins de civilisation et non un soutien à un pouvoir. Et il y a des pays où se tiennent des élections et pour lesquels je n’aurais pas envie de travailler. »

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Lauréat du prix Pritzker en 2008, celui qui a offert son Louvre à Abu Dhabi, imagine pour la sœur ennemie du Qatar, l’Arabie saoudite, un complexe hôtelier à Al-Ula, site archéologique exceptionnel. Nouvel a réussi à collaborer avec chacun, malgré le blocus de l’émirat ordonné par les Saoudiens en 2017. « Je ne peux pas m’immiscer dans la politique, mais l’important est que ces pays évoluent vers une forme de libéralisation… même si cela paraît long. » La conversation dévie, Nouvel peste contre les villes qui grossissent n’importe comment, les normes qui « cassent le plaisir », l’évolution du monde urbain « catastrophique ». « Tout est préparé par des ordinateurs. On sacrifie le temps de l’étude… » On lui glisse que le Qatar constitue peut-être pour lui et ses pairs architectes de renom un eldorado où la créativité se débride. Il n’est guère convaincu. « Ici pas plus qu’ailleurs ne prévaut une vision d’ensemble. Ce sont des collages. »

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A Doha, la Bibliothèque nationale de Rem Koolhaas voisine avec le Centre de convention national du Japonais Arata Isozaki. Une demi-douzaine de musées s’apprête à sortir de terre, sans oublier les stades en construction de Zaha Hadid, Norman Foster… Les projets paraissent pharaoniques pour une capitale qui semble gonflée artificiellement. Il est impossible de chiffrer ce bâtiment logo de Jean Nouvel, lui-même ne peut ou ne veut en révéler le coût. Qui lui reprocherait un dépassement de budget éventuel ? La veille de l’inauguration, il foulait le sol de sa création en compagnie de son premier commanditaire, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, le père de l’émir actuel, enchanté. 

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